Kim Sang-lan est une artiste à part. Son univers est personnel et en même temps ouvert. D’une infinie patience, elle a le sens de la matière, mais aussi de l’espace. Sa vision est rapide et ses idées sont claires. Elle choisit à l’Université Textile et « Fiber Art » et se passionne pour le Bauhaus. En France, où son voyage la conduit en descendant des montagnes de Chungju, et en suivant la Han, elle s’intéresse à des aspects singuliers de l’art de la Corée, le noeud et le papier. Profondément coréenne, son langage pourtant est international et va chercher ses références dans l’art le plus contemporain et dans la tradition, quand, jeune professeur à l’Université Wongang, elle était déjà fascinée par le travail de Sheila Hicks ou d’Abakanowic et celui de Christo. Mais, dans sa démarche, le textile n’a été qu’une étape qu’elle a vite dépassée pour inclure des fibres métalliques, le modelage en papier, l’image projetée sur des voiles de gaze ou les installations qui jouent de la répétition d’un seul et même « unit ». Si les moyens sont divers, l’approche reste la même, une vision magique et poétique du monde, une méditation sereine et apaisée qui souligne les mystères de la vie ou bien le temps qui passe. Son oeuvre est accessible. Elle ne met pas de barrière avec le public. Elle croit en l’éphémère, non par humilité personnelle, mais par une réflexion quasi philosophique. L’art est un regard avant d’être un marché. Il est une attitude qui pour elle ne sera jamais figée et elle entend chaque fois relever tous les défis ou les nouveaux domaines, intégrant le paysage dans ses installations, se confrontant au marbre et même à la sculpture.
Pourquoi donc faire des noeuds, lui avait demandé un jour un moine bouddhiste coréen de passage à Paris. Pourquoi donc faire des noeuds, pour savoir les défaire, lui a-t-elle répondu avec ce calme et cet humour qui la caractérisent. Kim Sang-lan a cette simplicité, cette logique et cette poésie qui lui fait créer tout un monde en jouant simplement sur le dos d’un seul et même fil, créant des formes de rocher à l’allure presque humaine en partant du papier. Son travail est toujours d’une extrême rigueur, d’une extrême gravité, privilégiant la ligne, jouant de la transparence, reprenant inconsciemment les préoccupations de la peinture Koryo dans ce goût des couleurs et de la profondeur, et toujours sait refuser l’excès ou bien l’exubérance, montrant en cela une éthique ou bien une esthétique qui reste très marquée par le confucianisme, le goût de la note juste. Mais, son travail suggère aussi une autre dimension, un univers caché par delà la matière qui se révèle soudain à celui qui sait voir, le papier prenant aspect humain, se faisant corps de femme, la gaze suspendue ou les filets de pêche reconstruisant les lieux par les matériaux même et les jeux de lumière. Avec elle, la matière se transforme, révèle l’énergie sous-jacente, et le fil de soie se fait à lui seul « mandala », C’est cette approche qu’elle a su faire passer auprès de ses nombreux élèves dans les différents ateliers qu’elle anime à Paris, élèves qui sont autant d’amis et lui restent fidèles, à travers les années – au point que l’une d’entre elles lui apporta un jour la poésie d’Eluard qu’elle ne connaissait pas, pour mieux lui rendre hommage (« Perspectives », 1948) :
Je noue et je délie, je donne et je refuse,
Je crée et je détruis, j’adore et je punis,
Ma fleur est la pensée, je caresse et je sème,
Je vois avec les doigts, je touche et je comprends.
Mars 2012
Pierre CAMBON
Conservateur en chef
Musée National des Arts Asiatiques-Guimet